Galère à la campagne : le défi de la santé mentale chez les femmes

Vivre à la campagne ne protège pas de la souffrance, du stress ou de l’épuisement psychique. Pour de nombreuses femmes en zones rurales françaises, parler de santé mentale ou consulter un psy relève souvent du parcours du combattant, entre obstacles concrets et pression sociale. Difficulté d’accès aux professionnels, peur du regard des autres, charge mentale qui impose de « survivre d’abord, se soigner ensuite »… Les témoignages et chiffres sont parlants. Découvrez la réalité de ces vécus, les risques persistants et les évolutions qui – timidement – émergent, ainsi que des pistes d’accompagnement contre l’épuisement professionnel.

Un désert médical qui aggrave l’isolement psychique

En France rurale, il manque cruellement de psychiatres et de psychologues. Dans certains endroits, il faut parcourir de longues distances, patienter des mois, ou se contenter de consultations en visio pour espérer obtenir un rendez-vous. La situation empire avec le vieillissement des praticiens et le manque de nouveaux professionnels dans la filière psychiatrie. Ce retard et ces inégalités territoriales, qu’on voit jusqu’aux enjeux liés à l’avenir numérique, ont aussi des conséquences directes sur la santé mentale des femmes.

  • Temps d’attente record : jusqu’à huit mois entre l’urgence et la prise en charge, comme l’a vécu Amélie, avec aggravation de sa dépression.
  • Obligation de faire de longs trajets pour trouver le bon soin, voire la nécessité d’anticiper la retraite de son psy pour tenter de trouver un successeur (sans garantie).
  • Des consultations parfois limitées à la prescription d’un renouvellement de traitement par le généraliste, sans véritable suivi psychothérapeutique.
  • Des territoires entiers se voient refuser l’arrivée de nouveaux patients faute de place ou de ressources humaines.
Zone Nombre moyen de psychiatres pour 100 000 hab. Délai d’attente pour 1er RDV Distance moyenne à parcourir
Grande ville 18 2 à 4 semaines Moins de 8 km
Petite ville / périurbain 9 1 à 2 mois 15 à 25 km
Zone rurale 3 4 à 8 mois 40 à 100 km

Le coût s’ajoute : bien des femmes doivent sortir chaque semaine 50 €, carburant compris, pour espérer un peu de répit. Beaucoup abandonnent ou ne commencent jamais, surprises par le prix, la lassitude, ou la fatigue du trajet.

La charge mentale, l’invisible qui épuise

En milieu rural, la répartition des tâches reste souvent traditionnelle, ce qui accentue la charge mentale des femmes. Elles doivent jongler entre leur travail, la parentalité, les soins aux aînés et toute la logistique domestique. Même celles qui exercent un métier épuisant, comme aide à domicile, parcourent encore des kilomètres pour leurs interventions. Dans ce contexte, le soin de soi, en particulier psychique, passe souvent au second plan.

  • Sacrifice maternel : la priorité n’est jamais leur propre équilibre. « Pour pouvoir soutenir un enfant, il faut soi-même avoir de l’énergie », rappelle une psychologue de village. Mais beaucoup de mères repoussent ou renoncent à consulter. Font passer Tout avant l’envie de se faire du bien.
  • Absence de solutions de garde et de relais : impossible de s’absenter sans organisation complexe ou culpabilité.
  • Épuisement professionnel : les métiers du soin, de l’accompagnement, sont souvent féminisés et mis à rude épreuve par la pénurie de temps et l’usure du corps.
  • Précarité : beaucoup enchaînent temps partiels mal payés et tâches domestiques, ce qui interdit ou rend marginal l’investissement dans une thérapie.
  • Charge mentale multipliée par l’isolement : sans réseau de soutien élargi, pas de répit, ni pour le corps ni pour le moral.

Un tabou toujours bien vivant : la peur du regard des autres

À la campagne, il est souvent difficile de préserver son anonymat. Aller consulter un psy peut exposer à des ragots, poussant certaines femmes à renoncer ou à adopter des stratégies discrètes : rendez-vous à des horaires inhabituels, trajets éloignés de leur village… Certaines psychologues aménagent même leur salle d’attente pour éviter que des voisines ne se croisent. Les questions d’aides sociales comme l’aide sociale RSA peuvent aussi être source de jugements dans ces petites communautés.

  • Peurs principales :
    • Perdre crédibilité et respect dans le village
    • Craintes pour l’emploi ou la vie associative
    • Stigmatisation et jugement, étiquetage radical (traitée de « folle », marginalisée…)
  • Stratégies d’invisibilité : choix de praticiens éloignés, consultation en visio, organisation discrète
  • Générations et tabou : les jeunes femmes sont en moyenne plus décomplexées, mais la honte reste ancrée chez beaucoup d’adultes et de seniors.
  • Conséquence : l’autocensure retarde l’accès au soin et aggrave la détresse.

Violences et isolement : des dangers invisibles

Vivre à la campagne, c’est aussi être plus éloigné des dispositifs d’écoute, de prévention et d’accompagnement pour les victimes de violences. Les violences conjugales et intrafamiliales y sont souvent moins visibles, moins signalées et plus difficiles à repérer. Près de la moitié des féminicides recensés dans le pays ont lieu en zone rurale, alors qu’un tiers seulement des femmes y résident. Pour prendre soin de soi, il est aussi possible d’allier santé et jardinage.

  • Structures d’aide moins nombreuses, éloignées, moins accessibles
  • Sentiment d’isolement, double peine pour celles qui subissent des violences
  • Initiatives de proximité innovantes : vans d’écoute sociale qui sillonnent les villages (ex : « Nina & Simon·es »), permanences mobiles mettant en lien avec le droit et le soin
  • Outils de repérage : utilisation d’indicateurs simples, comme le violentomètre, pour aider les femmes à repérer les situations à risque
Statistique-clé Valeur
% des femmes vivant en zone rurale 33 %
% des féminicides commis en zone rurale 47 %
Dépistage col de l’utérus non effectué en zone rurale 40 % des femmes concernées

Des signes encourageants : changement de mentalités et nouveaux dispositifs

Malgré tout, les choses évoluent ! Il y a vingt ans, voir des plaques de psychologues au centre des villages surprenait, alors qu’aujourd’hui cela fait partie du paysage. La jeune génération assume plus facilement de consulter, et de plus en plus de professionnels s’installent en milieu rural, proposent des consultations en visio et organisent leurs cabinets pour garantir la confidentialité. Les initiatives de soutien mobile ou d’écoute sociale aident à lever le tabou et à faciliter l’accès à l’aide. 

  • Jeunes femmes et ados : approchent le psy ou la thérapie comme ils iraient chez le dentiste
  • Profession de psychologue se visibilise dans tous les recoins du territoire
  • Organisation plus humaine : horaires décalés, dispositifs numériques, salles d’attente privées
  • Actions collectives locales : ateliers d’information, sensibilisation aux violences et à la santé mentale

Résumé et perspectives : ouvrir le droit à une santé mentale de qualité pour toutes

La situation actuelle est loin d’être idéale : entre éloignement, manque d’experts, coût élevé, surcharge mentale et stigmatisation, il n’est pas étonnant que tant de femmes rurales soient laissées pour compte. Pourtant, la mobilisation s’intensifie et les mentalités évoluent. Des initiatives mobiles, associatives ou institutionnelles voient le jour dans les campagnes, la parole se libère peu à peu et les jeunes générations s’emparent du sujet et n’ont plus peur d’en parler à l’heure du dîner et n’importe quand.

  • Les femmes rurales sont nombreuses et exposées à de multiples obstacles pour accéder à un accompagnement psychique de qualité.
  • La stigmatisation, les inégalités économiques et territoriales ainsi que l’omniprésence du système de rôles genrés ralentissent ou bloquent leur accès aux soins.
  • L’avènement d’une nouvelle génération, les dispositifs de proximité et la formation de praticiens adaptés au rural offrent des raisons d’y croire.

À l’avenir, l’espoir est de voir la santé mentale traitée comme une évidence, partout, pour toutes. Jusqu’à ce que « je file chez le psy » devienne une phrase banale, y compris à la sortie de la boulangerie d’un petit village.